Cela fait bien longtemps que je n'ai plus écrit ici. Peut-être que finalement c'est une bonne chose, je n'ai plus de tristes pensées à peindre en vers. D'un autre côté je n'ai pas vraiment de quoi me réjouir.

Aujourd'hui il faudrait que j'écrive « Cher journal... », confier mes pensées à un ouvrage muet que je serais seul à connaitre et qui sera le seul à me connaitre. Mais je veux partager avec le monde ce que je n'arrive pas à expliquer...

J'ai l'impression d'être hanté, une boite de pandore qu'on maintient fermée. La haine en moi grandit !
Je hais les gens, je me hais moi, je hais cette vie. Comme si en moi résidait un démon qui, voulant sortir, me communiquait ces désirs...
J'ai peur de perdre le contrôle, de laisser s'échapper la rage qu'il condense. Et si un jour je craquais ? Qu'en un instant je détruisais tout ? J'irais régler de vieilles rancœurs invengées, j'irais cracher aux visages de ceux qui m'ont méprisé, j'irais bruler ceux que j'ai dû supporter en silence... Je me fais peur moi même quand je pense à tout ce que je pourrais briser et pourtant je serais tellement soulagé !

Mais je garde en moi ma colère, je m'en vais rêvant sur des terrains brumeux. J'oublie qui je suis et j'imagine qui j'aimerais être.
Autrefois j'étais assez éloquent, je parlais sans me soucier des mots qui me venaient. Je parlais plus librement.
Aujourd'hui je ne parle plus, je bredouille. Aucune phrase ne se termine correctement. Dans le flot chaotique de mes pensées, les mots ne s'accordent plus avec ma voix.
Je pense et je réfléchis, je modèle et j'imagine, mais lorsque vient le temps des louanges je n'ai pas plus de verve qu'un analphabète.
Pas de réparti, les répliques je les trouve après coup et je regrette de n'avoir pu transpercer mes opposants de ces traits verbaux.

De nouveau s'opposent le penseur et l'orateur. Je me suis créé un monde de silence et de sécurité, je vis en rêve et je rêve que je vis. Je manie les mots comme on brode en silence. Je compose en prose ce que je ne dirais pas.
J'ai vu le mal que font les mots quand ils sortent sans maitrise, je maudis les fois où je fus accusé pour un double sens innocent.
Désormais je cesse de parler, je rattrape les mots qui voudraient s'enfuir et j'opine en marmonnant.

Tous ces mots non prononcés se battent alors dans ma tête et je chéris ce moment où la nuit vient éteindre mes pensées. Fermant les yeux je rejoins Morphée dans son monde de silence.
Quelle belle chose que le sommeil, la seule façon de ne plus s'entendre cogiter !

« Je parle moins maintenant. Je terrasse plus mes ennemis par l'éloquence... Plus je vieillis, plus je ferme ma gueule. Aujourd'hui ce qu'il me faudrait c'est le médaillon d'Harpocrate, avec le doigt sur la bouche... »
Kaamelott — Livre 5, épisode 45